Local 19, la fin d’une belle aventure

Le Local 19, un des premiers espaces de coworking de Clermont-Ferrand a fermé en 2021. J’en fus la cofondatrice, dix ans plus tôt, en 2011. Malgré une tentative de reprise de ma part en août 2021, vouée à l’échec, le Local 19 a fermé définitivement en novembre 2021. Ce texte fut publié il y a quelques semaines à l’été 2022 sur mon profil personnel Facebook. Il est le fruit d’un coup de gueule, mais aussi le résumé de ce que fut pour moi le Local 19 ces dernières années: loin d’un havre de paix, il fut un lieu de travail contraint et à l’ambiance néfaste pour moi.
J’ai eu envie de publier ce coup de gueule sur ce blog, à froid, bien des mois après le choc initial des événements qui m’ont menée à la fermeture du Local 19. Bien que de toute évidence un tel lieu n’était pas amené à être perpétuellement pérenne, autant je reste intimement choquée de la suite d’événements qui ont mené à sa fermeture.

Le Local 19 ne me manque pas vraiment. Il a eu son quota de dramas, de bruits, d’ambiance nocive, de personnalité pesante à gérer. C’était devenu depuis quelques années un endroit où j’étais de moins en moins bien pour travailler.

Cela a joué sur mon moral, mon travail, ma productivité, ma vie en général.

C’était une pente glissante dans laquelle je m’engageais, mais sans trop savoir comment et quand cette sensation pesante d’usure s’était installée. Mais quand elle était là, c’était déjà trop tard. Je n’avais plus le goût, je n’avais plus l’énergie de me débattre.

J’étais devenue celle qui faisait l’intermédiaire pour tout, celle qui écoutait les griefs patiemment. Qui voulait lisser les relations entre les localiens, juste pour avoir la paix, dans mon espace de travail. Même quand il y avait de plus en plus de mensonges, de manipulations. Ho tout cela était léger, tout cela est arrivé doucement, extrêmement doucement.

J’ai cru qu’il me suffisait de prendre de la distance, mais on ne prend pas de la distance avec ses soucis au bureau quand on est au bureau. J’avais voulu partir, mais je n’avais pas assez d’argent (ne pas assez travailler sur mon indépendance financière fut mon erreur). J’avais voulu partir mais on me tenait avec cette remarque insidieuse, que c’était mon local, que j’en étais la « maman », qu’ici tu as tous tes amis. Ce chantage affectif, insidieux, toujours, et dans lequel j’ai été prise comme dans une nasse. On en sort facilement quand on se sent fort, on y reste coincée quand on est fragilisé depuis des années et qu’on doute de tout; c’est en partie mon erreur, je le reconnais.

Je fus celle qui constatait avec effarement que, même si j’étais épargnée, d’autres ont subi mensonges, emprise, gaslighting, dissimulation, injonctions contradictoires, dénigrement. Et j’y ai finalement eu droit, à la toute fin.

J’ai voulu un changement de direction d’association, qui ne demande qu’un papier et une signature: j’ai eu une résiliation de bail en plein mois d’août. J’ai vu le local vidé du jour au lendemain sous mes yeux, quand deux jours auparavant j’avais l’assurance ferme de garder l’usage d’une imprimante et de quelques objets, le temps d’en acheter de nouveau, après les vacances – méfions-nous toujours des gens généreux dans le prêt ou dans le don, le temps voulu ils vous rappelleront très bien quel nom est sur la facture.

J’ai été accusée de mettre à la porte, mais j’ai vécu trois ans avec les remarques insidieuses puis, de plus en plus appuyées, que le local devait fermer (vivre 3 ans avec la menace diffuse que ton lieu de travail va fermer, oui ça bouffe, doucement, mais ça bouffe, et je me demande comment et pourquoi j’ai accepté de subir ça). Il y a même eu un jour où on me l’a redit, encore, avant même de dire bonjour, avant même un café. Moi comme à mon habitude, j’ai accepté, j’ai souri, j’ai écouté, j’ai subi.

Cela m’a bouffé une énergie folle. Fin 2019 j’étais à genoux, pour d’autres raisons, 2020 m’a achevée. J’ai commencé l’année dernière sans beaucoup d’énergie, plus d’envie sur les choses qui me faisaient plaisir. Je l’ai finie en état de suffocation, littéralement, je ne respirais plus. J’ai pris 14 kgs, j’ai arrêté de cuisiner. Par personne interposée j’ai appris que je suis présentée comme alcoolique, et à la fois peu fiable et extrêmement manipulable. La responsable de la fin du Local.

J’ai refusé à ce moment deux choses: que le nombre d’occupants du Local double et passe de 8 à plus de 15. J’ai refusé fermement que celle qui était devenue une amie soit virée du Local. J’aurais du m’opposer à bien des choses avant, mais je l’ai fait à la fin, et je ne le regrette pas.

J’ai tenu le coup en 2021 grâce à mon conjoint, mais aussi grâce au souvenir de quelques instants de grâce: partager un bureau avec ces deux copines, soudées par le hasard des choses, quelques jours de répit comme l’œil de la tempête. J’ai tenu le coup grâce à cette chouette amitié, celle qui réconforte et qui tire vers le haut; pas de celle où on finit épuisée à la fin d’une discussion, celle grâce à laquelle j’ai cru qu’on pouvait faire de ce lieu quelque chose de beau, de créatif, de calme et de lumineux.

J’ai aussi eu la surprise d’avoir eu un soutien inconditionnel de la part des dernières coworkeuses présentes à plusieurs reprises alors que nos relations étaient distantes, tellement je m’étais effacée de l’organisation du bureau. Je garde ce souvenir un peu fou, de ces réunions où on posait les bases d’une nouvelle association. Une soirée avec de la légèreté, et beaucoup de belles idées, de ces soirées où on évoque toutes nos envies, toutes nos idées, en sachant qu’elles ne seront pas toutes réalisées, mais juste grisées par le fait de recommencer à zéro. A elles deux, un merci sans faille.

Il y a ce souvenir heureux des grandes discussions avec mes voisins de bureau, ces apéros, ces rigolades, de grandes discussions avant qu’elles ne deviennent toujours, tous les jours, de plus en plus pesantes et anxiogènes. J’ai pu discuter d’aménagements cyclables, de e-commerce, de développement informatique, des enjeux de l’utilisation de l’intelligence artificielle même. J’ai cru rêver, l’espace de quelques mois, que cela pouvait devenir ce qui est un peu mon rêve, un studio de réalisation graphique et vidéo, et tenir la dragée haute à d’autres professionnels installés du secteur.

La fin du Local c’est la fin d’une décennie où j’ai grandi bien plus que je n’aurai pensé. J’ai appris à être travailleuse indépendante, à lancer des projets, à créer ce lieu, à prendre des risques. J’ai eu mes peines de cœur et mes peines d’amitié – les secondes étant infiniment plus douloureuses que les premières. Je n’ai pas encore appris à avoir confiance en moi, il y a cette satanée inconfiance qui prend le dessus si régulièrement, à la moindre vague. Mais j’y travaille.

Et puis à la fin, il y a eu ce bureau aveugle dont on n’a su faire depuis 7 ans et qui a trouvé un usage parfait sur les derniers mois: le premier atelier Hello Clermont où je stockais mes affiches et préparais mes commandes. C’était devenu ma bulle, mon seul espace positif. C’est à cause de Hello Clermont que j’ai voulu tenir au local jusqu’à la fin de l’année, à tout prix ou presque (tout ça pour finalement préparer la période de Noël, la plus intense, dans mon salon).

Mais c’est grâce à Hello Clermont que j’ai tenu le coup jusqu’au bout. Et cela a payé: j’ai triplé mes ventes depuis 2020. Je ne vis pas de Hello Clermont, pas encore, mais cela me donne une sensation que j’avais perdu depuis un moment: être fière de mon travail, être heureuse d’aller au bureau. Avoir un objectif. Ce fut ma 2e étincelle.

Avant de partir de Clermont j’avais pu revenir à l’ex-Local 19. Il a été repris très rapidement, par une jeune femme qui lance son activité de brocanteuse. Elle est contente, il y a de la place, et beaucoup de lumière dans la pièce du haut. Elle va en faire un espace beau, créatif, calme et lumineux.

Je n’en demande pas plus.

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Directrice artistique et illustratrice sur Clermont-Ferrand, originaire de Toulon. Je tiens ce blog depuis 2005. J'aime le dessin (sans déconner), le DIY (broderie, peinture), l'animation, le motion design et la photographie. Sinon j'ai un (gros) chat roux un peu idiot, j'aime le bon café à l'italienne, les voyages, dessiner à la terrasse d'un café et les fromages un peu forts.