Pourquoi je ne dessinerai pas pendant la période de confinement

papier auqaurelle canson et hahnemuehle

Je vois passer ici et là plusieurs carnets de voyage ou des carnets de confinement, comme autant de petites initiatives pour rendre le confinement plus agréable, moins angoissant, ou juste passer le temps. J’ai pensé plusieurs fois dessiner pour le défi USkatHome, j’ai pris plusieurs fois mes crayons, puis les ai re-posés. L’envie n’est simplement pas là. Il n’y aura pas de pause créative, de méditation, de temps à rattraper pour prendre enfin le temps de dessiner dans un emploi du temps trop chargé.

Et puis là il y a eu cet échange de mails d’organisateurs de festivals de carnet de voyage avec de très jolis mots sur la quarantaine qui ne fait que commencer. C’est bien écrit, poétique, léger avec ce qu’il faut d’inquiétude qui affleure. On parle de toutes ces créations qu’on fera à la maison, pour passer le temps ou gérer l’inquiétude. Et puis le grand mot, dessiner ou écrire des « carnets de voyage du confinement ». « Tous ces artistes mettent leurs dessins en ligne sur cette grande épreuve, c’est tellement beau ». Ha. Oui. Les Artistes. L’art qui sauvera le monde.

Hé bien voilà. Sauf que je ne dessinerai pas.

Je ne dessinerai pas pendant le confinement. Ou peu. Ou en tout cas, sans doute pas avant un moment. Ça n’a rien contre les autres, c’est personnel.

On m’a fait la remarque que cette angoisse que je ressens depuis plusieurs jours est futile: diable, il n’y a qu’à s’occuper. Je ne manque pas d’occupations, je ne manque pas de choses à faire et de passions. Je suis freelance depuis 10 ans, je sais m’organiser, je sais m’auto-discipliner. Je suis tellement touche-à-tout qu’on m’enfermerait 6 mois dans une pièce que je ne serais pas à court d’occupations. J’ai fait du bateau, j’ai voyagé en cargo 15 jours avec quelques livres, sans musiques, sans films sans podcasts ni films ni ordinateur (yep, j’en parle ici d’ailleurs), et je ne rêve que de nouveaux voyages en bateau, en train, ou de retraite dans les montagnes. S’il faut accuser quelqu’un d’avoir peur du confinement, ce n’est pas moi.

Je me faisais la réflexion il y a quelques semaines déjà que je dessinais beaucoup lorsque tout va bien, que la santé est là, le frigo est plein et les incertitudes écartées. Le dessin est un agréable loisir de fin de journée, après la satisfaction d’une bonne journée de travail, pas une occupation lorsque l’orage est au-dessus de ma tête. Ce n’est pas très grave. C’est comme ça. C’est un peu pour cette raison qu’il y a 15 ans, je m’étais faite une promesse un peu débile, de ne pas être illustratrice, parce que ça me paraissait impossible, de baser mon activité sur quelque chose que je veux laisser tomber à la moindre bouffée d’anxiété.

Pourquoi le dessin m’apaise aussi peu, je n’en sais rien ou si un peu, c’est dû à beaucoup de choses. Comme je disais ce n’est pas grave. Ce n’est pas parce que beaucoup de gens me rangent dans la catégorie des « gens qui dessinent bien » (je sais que c’est un compliment, même si parfois je ne sais pas trop à quoi ça correspond) que le dessin est une évidence pour moi. Il y a des périodes où, si, avec une grande force, et des fois pas du tout. J’ai appris avec le temps à me lâcher la grappe à propos de ça, à laisser couler. J’ai appris à faire la part des choses, à savoir quand ill faut se force un peu et à savoir quand l’envie n’est pas du tout là, et à ne pas insister.

Et en ce temps de crise sanitaire, pour tout dire, le dessin me paraît comme une activité terriblement vaine, stupidement futile. Face à ce qui nous arrive, je suis submergée par les émotions. La tristesse face aux morts mais aussi l’amertume devant ce qui aurait pu être évité, la colère pour les soignants et les manques de moyens, la peur et la rage pour l' »après ».

Tout ça pour dire à ceux qui me lisent que si le dessin, ou n’importe quelle activité créative, vous apporte un bien-être immédiat, si cela vous permet d’être dans une bulle qui vous préserve un peu du monde; allez-y, foncez. Faites n’importe quoi de beau ou de léger qui vous paraîtra être un soulagement, faites-le avec insouciance, si vous le pouvez.

Quand à moi, j’ai heureusement bien d’autres passions qui me rassurent et me réconfortent de manière assez immédiate. La cuisine, la lecture, l’écriture me réconfortent. J’aime toujours autant lire et dévorer des livres. Cuisiner me fait un bien fou. Et apprendre, toujours apprendre? Apprendre une langue étrangère, puis une autre, apprendre un instrument de musique, une nouvelle technique de broderie. Apprendre l’Histoire, la géographie, les sciences humaines, l’économie, les principes de bases scientifiques. Apprendre la liste des rois mérovingiens (si si), les mécaniques économiques ou l’histoire des luttes syndicales. Parce qu’apprendre a toujours été ma drogue dure, la seule qui compte, celle qui me permet de calmer mon anxiété en toutes circonstances et de donner un contour au monde. Pour avoir l’impression de maîtriser quelque chose.

Et sinon il y aura le travail, les formations à suivre, pour l’après. Je suis travailleuse indépendante et je dois gérer cette période comme un creux de mon activité. Je dois passer cette période sans revenus, et m’attends à plusieurs mois sans salaire. Donc oui travailler, me former sont nécessaires, plus que jamais pour moi en ce moment. Il n’y a pour moi ni chômage, ni travail garanti à la sortie, pas de boutique à réouvrir ou de clients qui m’attendent dehors. Les temps seront très durs pour moi « après », en fait ils le sont déjà dès à présent. C’est une activité sans doute vaine, mais je ne peux pas faire autrement, là, aujourd’hui, demain et les prochaines semaines.

Je ne suis pas la plus à plaindre malgré tout. J’ai des ressources. Mais être, pendant cette crise, du côté des travailleurs précaires, n’a fait qu’accentuer ma conscience des choses. Il sera encore temps d’en parler plus longuement ici ou ailleurs.

Je ne dessinerai pas pendant la période de confinement. J’essaierai au mieux de passer cette période entre phases d’angoisse, de tristesse et de colère. Les périodes où je dessinerai le cœur léger reviendront. Mais ma colère, elle, n’est pas prête de retomber.

Filed under Blabla & News

Directrice artistique et illustratrice sur Clermont-Ferrand, originaire de Toulon. Je tiens ce blog depuis 2005. J'aime le dessin (sans déconner), le DIY (broderie, peinture), l'animation, le motion design et la photographie. Sinon j'ai un (gros) chat roux un peu idiot, j'aime le bon café à l'italienne, les voyages, dessiner à la terrasse d'un café et les fromages un peu forts.